WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Le travail c’est la santé… de la Nation
par Yves de Kerdrel

En expliquant d’emblée que le problème structurel de la France est qu’elle ne travaille pas assez et ne produit pas assez, François Bayrou a laissé entendre à juste titre que les Français ne méritent pas le modèle social très coûteux auquel ils ont droit. Ce débat lui a permis de retarder l’énoncé de solutions immédiates afin de trouver 40 milliards d’euros d’économies pour le budget 2026.

20/04/2025 - 08:30 Lecture 10 mn.

Il est de bon ton, dans Paris, et notamment au sein du monde des affaires, de moquer François Bayrou. Et l’intéressé ne fait rien pour arranger cela. Ses discours sont souvent nébuleux. Son mandat de Maire de Pau, suscite sinon la critique, du moins l’amusement. Sa capacité à procrastiner à la manière du corrézien Henri Queuille, resté célèbre pour sa formule "il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout" énerve au plus haut point des patrons formés pour décider vite et résoudre des situations complexes. À part Jean-Luc Lagardère dont il partageait la passion pour les chevaux, il n’est proche d’aucun grand dirigeant d’entreprise.

C’est donc avec un grand scepticisme que le microcosme entrepreneurial a suivi mardi dernier son intervention sur le défi que nous impose "l’Himalaya de la dette et des déficits publics". Dès sa déclaration de politique générale, en janvier dernier, il avait repris cette antienne sur la nécessité de renouer avec une saine gestion des deniers publics dont il avait fait le thème principal de sa campagne présidentielle de 2007. Et quelques jours plus tard, il multipliait les renoncements en matière d’économies de dépenses publiques face aux exigences posées par les socialistes afin de ne pas voter la censure.

 

Le "mensonge" de la bonne gestion

 

François Bayrou a donc convoqué le mot "vérité" pour appeler à une prise de conscience sur l’état de nos finances publiques. Derrière lui était écrit ce slogan : "la vérité permet d’agir" à la manière du Général de Gaulle qui répétait sans cesse que "l’ordre permet le progrès". Puis il a cité Lénine pour qui "seule la vérité est révolutionnaire". Cela faisait écho avec soixante années d’écart à la célèbre phrase d’un autre centriste, Jacques Duhamel, prononcée à la tribune du Sénat : "Si les chiffres ne mentent pas, il arrive que les menteurs chiffrent." Ce qui laisse sous-entendre que le grand mensonge français est celui de la bonne gestion du pays.

Le fait que ce discours soit porté par le chef du gouvernement, et pas seulement par le ministre des Finances, est une bonne chose. Gabriel Attal, en tant qu’ancien ministre des Comptes publics, aurait pu le faire. Mais il est passé à côté du sujet. Tout comme Élisabeth Borne, Jean Castex ou Edouard PhilippeFrançois Bayrou espérait donc créer une prise de conscience collective. Ce qui a été en partie réussi. Puisque deux jours plus tard, un sondage réalisé par Elabe pour BFM TV montrait que 84 % des Français estiment qu’il y a trop de dépenses publiques. La même proportion juge que notre surendettement menace gravement notre indépendance. 82 % de nos compatriotes sont d’accord avec la phrase selon laquelle : "l’excès de dépenses publiques ne fait pas le bonheur des peuples". Et ce qui est intéressant, c’est que quelle que soit l’appartenance politique des Français interrogés ils sont tous d’accord sur ces propos qui sont, il est vrai, de bon sens.

 

Travailler plus et travailler mieux

 

Mais là où le discours de François Bayrou a touché ses premières limites, c’est quand il a abordé la notion de travail. Le Premier ministre a expliqué que "nous ne produisons pas assez et nous ne travaillons pas assez". De simples évidences que nous répétons régulièrement dans cette chronique dominicale. Sur le sujet de la production 72 % des Français sont d’accord avec le locataire de Matignon. En revanche sur le sujet du travail, 60 % d’entre eux sont en désaccord. À noter que chez les retraités, une majorité est d’accord sur l’insuffisance de travail. Alors que chez les actifs, c’est l’inverse.

Ce constat sur l’insuffisance de travail et son lien avec notre faible croissance économique, François Villeroy de Galhau l’a fait, il y a dix jours, à l’occasion de sa lettre annuelle au Président de la République. En 2000, la France, l’Allemagne et l’Italie étaient au moins aussi productives que les États‑Unis en base horaire. Mais en 2023, l’écart de productivité atteint 14 % pour la France. Quant au nombre d’heures travaillées par habitant il est resté très insuffisant alors que ce même ratio s’est redressé aussi bien en Allemagne qu’en Italie. Conclusion du Gouverneur de la Banque de France : "ceci plaide donc pour collectivement travailler plus et mieux en France, afin de renforcer notre croissance potentielle. Ces deux ressorts combinés pourraient permettre, dans un scénario favorable, de porter le rythme de notre croissance potentielle d’environ 1 % à 1,5 % d’ici 2030."

 

Trop peu de travail et trop de dépenses sociales

 

Bien sûr ce discours sur la quantité de travail et sur la productivité, qui sont des facteurs de la croissance, a été mis à mal par quelques économistes politiquement biaisés qui ont expliqué que jamais il n’y a eu autant de français au travail. Ce que personne ne conteste et qui n’a rien à voir. Notre modèle social a été élaboré par le Conseil National de la Résistance à partir d’un financement par le travail. Si le consensus s’est vite établi alors que la guerre n’était pas terminée, c’est parce que les communistes ont toujours considéré le travail comme une forme d’épanouissement tant individuelle que collective et non pas comme une aliénation.

Nous ne travaillons plus assez depuis la mise en place des 35 heures pour financer un modèle social qui est de plus en plus coûteux et sophistiqué. Soit il faudra rogner sur les dépenses sociales, thèse qu’Éric Lombard défend courageusement, en dépit de ses convictions d’homme de gauche. Soit il faudra effectivement travailler plus. Ce qui va être difficile à expliquer pour ce gouvernement alors qu’est en cours une expérimentation dans la fonction publique sur la semaine de quatre jours (avec la même durée légale de 1 607 heures travaillées par an).

François Villeroy de Galhau a tenté de réconcilier les deux idées en expliquant qu’"au‑dela de l’enrichissement collectif par le travail, nous devons trouver la voie d’un enrichissement du travail". Mais beaucoup a été fait en matière de télétravail, de sens donné au travail ou d’engagement des entreprises pour leurs collaborateurs. Sans compter les salles de sieste, d’allaitement ou de ping-pong qui sont devenues les atouts indispensables pour attirer au travail la génération Z.

 

Intérêt général et intérêt particulier

 

Reste un sujet dont il n’est jamais question hélas, c’est celui de la juste rémunération du travail. Comme le montrait, il y a quelques mois, Antoine Foucher dans son livre "Sortir du travail qui ne paie plus" les retraités ont, en France, un niveau de vie bien meilleur que celui des actifs avec des pensions supérieures de 30 à 50 % aux cotisations acquittées pendant la vie. Or un tiers des actifs bouclent la fin du mois dans le rouge. Ce qui signifie que pour beaucoup de ceux qui travaillent durement, le travail ne suffit plus pour vivre. Il s’agit là d’une rupture anthropologique majeure que les entreprises et leurs dirigeants ont tort de laisser s’installer.

Il serait bien plus facile de convaincre les Français de travailler davantage et de produire plus afin de sauver les comptes publics, si cela leur permet avant tout de mieux vivre. L’intérêt général ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers. Mais comme l’écrivait Adam Smith : "ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de l’attention qu’ils portent à leur propre intérêt."

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Néron-Trump incendiaire

13/04/2025 - 06:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Du K.-O. au Chaos

06/04/2025 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Italie : l’homme fort de l’Europe

19/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Tanger Med s’impose en Méditerranée

12/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Droits de douane : le choc

05/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Envoyer une force internationale en Ukraine ?

29/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Le Golfe s’impose dans la diplomatie mondiale

22/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Europe : face aux ennemis, multiplier les partenariats

15/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Europe : à nous de jouer

08/03/2025 - 08:30