éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Les élites tiraillées
par Yves de Kerdrel
Les premiers sondages publiés montrent que le Rassemblement National progresse, mais qu’il n’est pas certain d’avoir une majorité au Palais Bourbon. Ils font aussi apparaître que le Nouveau Front Populaire ne parvient pas à être une menace réelle, sauf par la diffusion d’idées nauséeuses. Quant au « bloc central » qui n’a, hélas, rien d’un bloc, il pourrait résister mieux que prévu. Surtout s’il parvient à desserrer la tenaille formée par les deux forces extrémistes.
Il est dommage qu’aucune académie n’ait soumis aux élèves de Terminale, comme sujet du bac de philosophie, cette phrase attribuée par Thucydide à Périclès : "se reposer ou être libre". Personnage le plus riche d’Athènes, il en est devenu le dirigeant, presque sans le vouloir, avant de prendre la tête de l’armée et de gagner la guerre du Péloponnèse. Mais s’il est encore célébré par les historiens, c’est bien sûr pour avoir fait construire l’Acropole. Si je fais appel à cette phrase de Périclès, ce n’est pas parce que la liberté est menacée en France par les élections législatives. C’est parce qu’il est intéressant, pour un chroniqueur dominical d’observer le comportement des uns et des autres dans la sphère dirigeante de notre Pays. Cette fameuse élite, que Marc Bloch, avait accusée d’avoir mené la France à "l’étrange défaite" de 1940 par aveuglement ou que Julien Benda avait accusée d’avoir trahi le pays en se laissant fascinée par les deux idéologies mortifères des années trente : le communisme et le fascisme. Bien sûr comparaison n’est pas raison. Mais certains au sein de l’élite préfèrent sinon se reposer, du moins, ne pas prendre part au débat. Alors que d’autres ont choisi de s’exprimer et de faire part de leur liberté de jugement.
Le "bloc central" s’éparpille
L’élite politique – si tant est que l’on puisse parler du mot "élite" - après avoir été abasourdie dans un premier temps par la décision absurde et immature du Président de la république, a retrouvé une certaine liberté de parole. On l’a constaté notamment avec Édouard Philippe, dont les paroles sont très dures à l’égard du locataire de l’Élysée, et qui s’est déclaré prêt – curieusement – lors de son audition, jeudi dernier, par les patrons réunis Salle Gaveau, à chercher à construire une nouvelle majorité. Ce qui paraît assez contradictoire avec son ambition présidentielle.
Gabriel Attal, après avoir accusé le coup, apparaît comme un vrai chef de campagne. Il entend même retrouver par les urnes une légitimité qu’il ne tient pour l’instant que d’un décret présidentiel. Et il n’hésite pas à prendre ses distances, de manière très nette avec Emmanuel Macron. Bruno Le Maire, dont la prestation devant les patrons a été très applaudie, s’est également lâché sur les "cloportes" qui constituent l’entourage du Chef de l’État, visant Bruno Roger-Petit – à nouveau en disgrâce même s’il rassure ses contacts en affirmant qu’il fait de la gym avec Brigitte Macron – ou encore Pierre Charon et Clément Léonarduzzi, les deux " mouches du coche" de la cour élyséenne. Du côté de LR, où plus personne ne sait où il habite, après le pacte faustien d’Éric Ciotti, l’ex-parti gaulliste finit par s’auto-dissoudre. Quant à François Bayrou, il continue à croire dans sa capacité à être Premier Ministre au cas où aucun des trois blocs n’a la majorité.
L’honneur du Gouverneur
L’élite économique a un comportement assez divers. Il y a les mouvements patronaux qui sont toujours aussi timides dans leurs déclarations comme s’ils cherchaient à ne pas injurier l’avenir. Pour le Medef, cela peut s’expliquer par la proximité entre Patrick Martin et Laurent Wauquiez, qui entend devenir le nouveau patron du futur minuscule groupe LR à l’Assemblée. Même l’AFEP, qui après avoir hésité, a publié un communiqué assez banal soulignant le "risque de décrochage" de l’économie française. En revanche, tout en restant dans les limites de l’impartialité à laquelle sa fonction l’oblige, le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a profité d’une remise de prix pour rappeler que respecter les Français "c’est reconnaître les exigences du réel, et ne pas creuser encore davantage des déficits lourds qu’on ne saurait pas bien financer. Les respecter… c’est clarifier vite la stratégie économique et en particulier la stratégie budgétaire proposées pour notre pays."
Surtout quelque 73 dirigeants d’entreprises, avocats, et personnalités économiques, emmenés notamment par Stéphane Boujnah, le patron d’Euronext, et par Marguerite Bérard ont signé un texte, dans Les Échos, où ils se sont exprimés à titre personnel mais dans le cadre d’une démarche collective. Un texte courageux renvoyant dos à dos "des forces qui proposent le repli, la fermeture et la régression" et "des forces qui invitent à la confrontation, à la division et à des transformations radicales de notre économie" tout en rappelant les atouts d’une France que les déclinistes ont jetée dans les bras du populisme.
Un éléphant dans la pièce
La complexité de l’attitude du monde patronal tient au fait que le programme du Nouveau Front Populaire représente un danger considérable pour les entreprises, pour la croissance du pays et pour les finances publiques. À être un tel repoussoir, il finit par entraîner, nolens volens, dans les bras du Rassemblement National des dirigeants d’entreprise qui ne pardonnent pas à Emmanuel Macron sa légèreté et qui oublient tous les bienfaits de la politique de l’offre qu’il a portée.
Le Tout-Paris s’amuse des noms de patrons ou d’anciens patrons qui auraient été approchés par le Rassemblement National, soit pour rejoindre Bercy, soit pour servir de caution vis-à-vis du patronat et des marchés. Nous éviterons ici de jeter en pâture ces noms de personnalités qui circulent souvent de manière fantaisiste. Car l’important n’est pas cela. L’important c’est qu’au sein de l’extrême droite, on a pris conscience, ces derniers jours seulement, qu’il y aura le 8 juillet prochain, si Jordan Bardella accède à Matignon, un éléphant dans son bureau. Cet éléphant, c’est la coupe de 25 milliards d’euros à effectuer dans le projet de loi de finances pour 2025, qui rend cet exercice budgétaire presque impossible à réaliser. Surtout si le Rassemblement National se prive de 16 à 17 milliards d’euros de recettes de TVA liés au gaz, à l’électricité et au fioul, comme il l’a annoncé. Et en dépit d’une taxe sur les armateurs de manière qu’ils retrouvent un statut fiscal normal.
Des prises de position surprenantes
Parlons enfin de l’élite intellectuelle, médiatique ou culturelle. On a pu observer des prises de position surprenantes. Comme celle de Serge Klarsfeld se déclarant prêt à voter pour le Rassemblement National. Comme celle aussi d’Alain Finkielkraut et pour les mêmes raisons d’écœurement face à la porosité entre cette nouvelle Hydre – monstre à plusieurs têtes, comme l’est ce nouveau Front Populaire - et ce regain d’antisémitisme qui s’accompagne de "faits divers" devenus aussi horribles que fréquents.
Tout aussi surprenants sont les ralliements de François Hollande – dont l’élection en Corrèze est loin d’être acquise - de Lionel Jospin – qui ferme les yeux sur l’appétence du Nouveau Front Populaire pour un communautariste contre lequel se bat à juste titre son épouse Sylviane Agacinski - de Matthieu Pigasse – considéré ici davantage comme un essayiste que comme un banquier d’affaires – ou du journaliste Laurent Joffrin. Sans compter les appels ambigus de l’éditrice Sophie de Closets ou de deux des filles d’Antoine Gallimard.
À rebours de l’histoire
Les Français aiment se moquer des Britanniques. Mais le hasard, sinon de l’histoire, du moins de la politique, c’est que la Grande-Bretagne s’apprête à donner au parti travailliste une majorité historique. À tel point que l’actuel Premier Ministre pourrait être balayé dans sa propre circonscription. Or il y a quelques années cette gauche anglaise était devenue infréquentable à cause, notamment, des propos antisémites de Jeremy Corbin. Le 4 juillet un nouveau Labour, qui a fait un formidable travail d’autocritique et de renouveau programmatique, va porter le social-démocrate Keir Starmer au 10 Downing Street.
Or trois jours plus tard le Palais Bourbon sera la proie soit d’une extrême droite qui nous jettera dans le repli et la fermeture, soit l’otage d’une gauche française dont les commandes ont été prises par LFI au niveau du programme, des investitures et de l’incarnation. Combien de temps la France va-t-elle payer cette situation absurde et irresponsable dans laquelle Emmanuel Macron l’a jetée entre une Extrême droite tentée par le souverainisme, mâtiné d’anti-atlantisme, de Viktor Orban davantage que par l’européisme de Giorgia Meloni et une Gauche marquée par l’internationalisme bolivarien, le choix de la confrontation et la tolérance pour le communautarisme séparatiste. On a dit et redit que la Grande-Bretagne, par le Brexit, s’était placée à rebours de l’histoire. Ce serait bien d’éviter que la France en fasse autant.
P.-S. : L’ensemble des sondages publiés au cours de la semaine passée donnent le Rassemblement National en tête du premier tour en nombre de voix mais sans majorité absolue au soir du 7 juillet. Le "Lucy Panel", développé par le communicant Sacha Mandel - qui a donné les résultats des élections européennes avec une précision remarquable - observe que le parti de Jordan Bardella pourrait bénéficier de 39,5 % des votes lors du second tour. Toutefois, la dynamique de reports de voix profite à Ensemble ! qui talonne le Nouveau Front Populaire, en baisse et sans réserves. Mais dans une triangulaire, tout ce qui compte, c’est d’être le premier. Et la grande inconnue est le nombre de ces cas de figure le dimanche 7 juillet. Plus la participation sera forte, plus le risque de triangulaires est élevé. Pour l’heure le Lucy Panel laisse envisager un taux de participation d’au moins 62,3 % que confirme le nombre record de procurations enregistrées par le Ministère de l’Intérieur.
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