WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Saut dans l’inconnu
par Yves de Kerdrel

En dépit de la multitude de sondages, de simulations et de scenarii qui ont égrené la semaine, personne ne peut dire ce qui va se passer ce soir à l’annonce des résultats et surtout au cours des deux ou trois semaines qui nous séparent de l’ouverture des Jeux Olympiques. La seule certitude, c’est que l’assemblée élue ce soir sera dissoute dans un peu plus d’un an. À moins qu’une crise de régime inédite oblige le Président de la République à partir.

07/07/2024 - 06:30 Lecture 11 mn.

 

En dépit des frayeurs qui ont fait les choux gras de la presse écrite, comme audiovisuelle, au cours des tout derniers jours, la France ne va connaître ni le retour de "la peste brune alliée à la bête immonde", ni "le grand soir révolutionnaire et l’institution d’un régime bolivarien à la sauce mélenchoniste". Tous les instituts de sondage – qui peuvent certes se tromper – ne donnent pas la majorité absolue au Rassemblement national et attribuent, dans le meilleur des cas, 175 sièges au Nouveau Front Populaire, dont une soixantaine seulement aux Insoumis.

Bien sûr nous resterons prudents dans la mesure où le score final, dans une cinquantaine circonscriptions, va se jouer à une centaine de voix près, selon les indications que nous a données Brice Teinturier d’Ipsos. Et la seconde grande inconnue réside dans le taux de participation à partir du moment où, après la grande peur de dimanche dernier, il y a désormais beaucoup moins d’enjeux avec une assemblée qui semble se dessiner en trois grands blocs dont aucun n’aura la majorité absolue. Même si le nombre de procurations a dépassé les 3,3 millions ; un record.

 

Un lendemain d’élection ordinaire ?

 

Contrairement aux traditions de la Cinquième République, Gabriel Attal pourrait donc ne pas se rendre à l’Élysée demain pour donner la démission du gouvernement. Il devrait dévoiler ses intentions, ce soir vers 22 heures. Contrairement aux usages républicains, Emmanuel Macron peut très bien temporiser plutôt que de convoquer dès demain Jordan Bardella – en qualité du président du parti ayant le plus grand nombre de députés – afin de lui demander de former un gouvernement. Ce que l’intéressé déclinera comme il l’a déjà laissé entendre.
Emmanuel Macron pourrait donc être tenté de retrouver – comme Louis XVI – son goût pour les mouvements d’horlogerie. Dans ce cas il laissera passer son déplacement à New York, de mardi à jeudi, pour le sommet annuel de l’OTAN, qui entérinera la nomination de l’ex-Premier Ministre néerlandais et pour le soixante-quinzième anniversaire de l’Alliance Atlantique, avant de prendre une initiative en matière de politique intérieure. Mieux encore il peut convoquer un conseil des ministres rapide demain dans la journée pour lui demander d’expédier les affaires courantes. Si bien que dimanche prochain, le 14 juillet, il se pourrait que ce soit Gabriel Attal qui accompagne le Chef de l’État pour un défilé militaire inhabituel sur l’Avenue Foch.

 

Initiative parlementaire

 

Les prochaines étapes importantes vont en effet davantage venir de l’Assemblée nationale avec la formation des groupes parlementaires et l’élection des présidents de groupes. Puis le 18 juillet, lors de l’ouverture de la session extraordinaire il y aura l’élection du Président ou de la présidente de l’Assemblée. Lors des deux premiers tours de scrutin la majorité absolue est requise. Mais lors du troisième tour il suffit de la majorité relative. Si bien que Sébastien Chenu, député RN élu dès le premier tour – et qui a été un bon vice-président au cours des deux dernières années – a déjà commencé sa campagne. Même si c’est un poste que François Hollande estime taillé sur mesure pour lui s’il remporte ce soir la première circonscription de Corrèze.

C’est aussi du Parlement – comme Gabriel Attal a été le premier à l’indiquer – que pourraient venir des initiatives permettant de former une sorte de coalition. Non pas aussi large qu’en rêve Marine Tondelier, la présidente des Verts. Mais réunissant les Républicains non-Ciottistes (50 à 60), les Horizons et UDI (25 sièges), les Renaissance (85 à 90 sièges), les Modem (25 à 30 sièges) les Divers gauche (15 sièges) et les socialistes (environ 55 sièges). Soit au total, dans le meilleur des cas, une majorité relative plurielle de 260 à 265 sièges avec un barycentre social-démocrate. Si l’on écoute Xavier Bertrand, les bonnes volontés de ces groupes pourraient se mettre d’accord sur moins d’une dizaine de mesures qui constitueraient la colonne vertébrale d’un "gouvernement provisoire" comme la quatrième république en a connu trois. Ce ne serait sûrement pas la pire des solutions. À condition que le Premier Ministre qui serait porté par une coalition aussi baroque ait enfin les coudées franches. Au moins pour construire le budget, assurer l’ordre public et la laïcité, redresser l’éducation nationale et la Santé et faire respecter nos engagements vis-à-vis de l’Ukraine. La plupart de nos interlocuteurs nous affirment qu’il faut une bonne dose d’optimisme pour imaginer une solution de ce type.

 

L’après-Macron commence

 

Ce qui est certain, c’est que ce soir commence l’après-Macron. Le chef de l’État a fait trois fautes qui seront longtemps impardonnables, à commencer par beaucoup des siens. D’abord procéder à cette dissolution – non pas de confort, mais d’humeur – ce qui n’est pas la marque d’un homme d’État. Ce faisant il a dissous ses compagnons, tout ce qui faisait la Macronie et humilié son jeune et talentueux Premier Ministre, tellement plus populaire que lui.

Ensuite il a pensé que son coup politique provoquerait un sursaut en faveur de son camp. C’était oublier que "la gilet-jaunisation" de la société française s’est transformée en un profond rejet de sa personne, de ses proches et de son attitude monarchique. En convoquant les États Généraux Louis XVI aussi pensait provoquer un sursaut comme le raconte si bien Emmanuel de Waresquiel. Mais la manière dont les délégués se sont organisés entre eux et l’audace de Mirabeau – pourtant si proche de la Reine Marie-Antoinette – ont fait de cette réunion versaillaise le marchepied de la Révolution française.

Enfin Emmanuel Macron a choisi le déshonneur. En acceptant – toujours de manière précipitée – de se jeter dans les bras du Nouveau Front Populaire dominé par LFI, afin d’empêcher le Front National d’avoir une majorité absolue il a commis une faute irréparable. Certains, comme Bruno Le Maire, ont eu le courage de s’affranchir de la directive présidentielle en affirmant que LFI était aussi dangereux que le RN et qu’entre les deux seul le vote blanc s’imposait.

La semaine passée a été l’occasion de voir émerger tous ceux que l’on croyait des vrais sociaux-démocrates et qui étaient prêts à pactiser avec le diable rouge. Citons Dominique Strauss-Kahn, Lionel Jospin, Philippe Aghion. D’eux on attendait mieux et surtout une vraie réflexion sur la manière de faire redescendre ce vote pour le désormais plus grand parti de France dénommé PRAF (Plus Rien A Foutre) alimenté par les voix de tous deux qui ne voient pas les politiques être en mesure d’améliorer leur sort personnel, leur pouvoir d’achat, leurs soucis de fin de mois ou leurs embarras de logement.

 

Un face-à-face dans les rues

 

La seule chose qui reste à espérer, après toutes ces conjectures, c’est que l’amertume d’un camp qui a frôlé la majorité absolue et le sentiment de victoire de ceux qui ont constitué une partie du Front Républicain ne se transforment pas en face-à-face dans les rues. À commencer ce soir autour du Palais Bourbon où l’extrême-gauche entend faire sinon sa "Prise du Capitole", du moins une mauvaise réplique "du 6 février 1934".

Les commissariats de police ont reçu, pour leur part, depuis deux semaines l’ordre de faire le plein de grenades lacrymogènes et de munitions de LBD (lanceur de balles de défense). Sans compter tous les policiers en mal d’affectation que l’on a envoyé suivre un stage accéléré de formation aux violences urbaines. À une semaine du 14 juillet et à 19 jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, tout cela en dit long sur les fractures françaises et les cocottes-minute qui sont prêtes à exploser en écho à ce "chaos démocratique" si bien défini par Laurent Berger.

 

P.-S. : L’ensemble des sondages publiés au cours de la semaine passée ont montré une érosion continue du Rassemblement National en nombre de circonscriptions gagnantes. Le "Lucy Live Panel", développé par le communicant Sacha Mandel - qui a donné les résultats des élections européennes avec une précision remarquable - observe que le rapport de forces entre Ensemble et le NFP est très équilibré autour de 27 % pour chacun de ces deux blocs. Le Rassemblement National pourrait afficher un score de 40 % dans les 71 triangulaires qui ont lieu sans LR. Enfin l'intérêt pour le second tour a décru de 3,5 points par rapport à celui constaté il y a huit jours, à la veille du premier tour.

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / La peur et la raison

30/06/2024 - 06:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Les élites tiraillées

23/06/2024 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Royaume-Uni : les travaillistes écrasent le scrutin

06/07/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Débat américain : Joe Biden crée l’inquiétude dans son camp

29/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Guerre économique et entreprise

22/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Union européenne : un parlement renouvelé dans l’indifférence

15/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : de la guerre de haute intensité à la guérilla mondiale

08/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / La Géorgie, entre l’Europe et la Russie

01/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Taïwan face à la guerre psychologique

25/05/2024 - 08:30