WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Sortir de la paralysie
par Yves de Kerdrel

Il y a comme un air de méthode Coué dans cette période post-électorale. Les Insoumis veulent un Premier Ministre issu de leurs rangs. Emmanuel Macron n’en veut pas. Olivier Faure est candidat mais soutenu par personne. Et la droite républicaine croit - toujours - en ses chances alors que Laurent Wauquiez exclut toute participation à une coalition. Seul Gabriel Attal – en guerre ouverte avec le Président – parvient à faire bonne figure. Mais au-delà de ces questions d’hommes, le pays, tout entier, et insatisfait de ces élections, est paralysé.

14/07/2024 - 06:30 Lecture 12 mn.

Le défilé militaire de ce dimanche 14 juillet sur l’Avenue Foch – la Place de la Concorde étant bloquée par les installations des Jeux Olympiques – aura quelque chose de surréaliste. Tout semblera normal vers 10 h 17 lorsque le Président de la République se rendra Avenue de Friedland où il sera accueilli par le Général Burkhard, chef d’état-major des armées et par le Général Abad, Gouverneur militaire de Paris. Emmanuel Macron apprécie ces cérémonies qui lui renvoient son image de dirigeant d’une grande puissance militaire et de chef des armées.

Mais dix minutes plus tard, lorsqu’il arrivera Porte Dauphine, au bas de l’Avenue Foch où les honneurs militaires lui seront rendus par la Garde républicaine, tout le décorum, inchangé depuis des décennies, apparaîtra tout d’un coup surréaliste. Puisque juste derrière lui se tiendront Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire et Sébastien Lecornu, ministre des Armées en sursis. Comme à chaque fois, Emmanuel Macron aura une poignée de mains chaleureuse pour le locataire de Matignon, avec lequel il est pourtant en conflit depuis un mois et en guérilla insupportable depuis une semaine. À tel point que le Chef de l’État a tout fait pour empêcher, en vain, Gabriel Attal de devenir président du groupe Renaissance à l’Élysée en concoctant une alliance contre nature entre Élisabeth Borne et Gérald Darmanin.

 

Gérard Larcher voit son rôle renforcé

 

La suite de cette fête nationale sera tout aussi déconnectée de la réalité politique avec dans la tribune officielle des ministres au garde-à-vous alors qu’ils ne sont dans leurs bureaux que pour expédier les affaires courantes. Et surtout lorsqu’on leur parle en "off" ils rivalisent de propos assassins à l’égard du Président de la République. Les uns disent qu’il a commis un gâchis monumental avec cette dissolution. Les autres lui en veulent d’avoir plongé le Pays dans une paralysie qui pourrait s’avérer grave sur le plan budgétaire. Les derniers ne comprennent toujours pas qu’il n’ait pas su faire la distinction avant le second tour entre les Insoumis et le reste du Nouveau Front Populaire, offrant ainsi à Jean-Luc Mélenchon une occasion incroyable de déstabiliser la République.

Toujours sur cette tribune officielle on pourra voir Gérard Larcher, le Président du Sénat, échanger des mots aimables avec le Président de la République. Les deux hommes se sont vus secrètement entre les deux tours et mardi dernier juste avant le départ d’Emmanuel Macron pour Washington. Mais Gérard Larcher, si pondéré et habituellement si rond dans ses propos, ne retient plus ses coups contre l’hôte de l’Élysée, estimant que l’article 12 de la Constitution a été "tordu" par Emmanuel Macron puisqu’il n’a pas été "consulté" avant l’annonce de la dissolution "mais simplement informé". Le troisième personnage de l’état estime surtout qu’Emmanuel Macron est aujourd’hui un "Roi nu" condamné à aller de dissolution en dissolution s’il reste au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat.

 

Quelle structuration pour l’Assemblée ?

 

Une fois les lampions de la fête nationale éteints, Emmanuel Macron retrouvera un théâtre d’ombres autour de lui où seuls subsistent des intrigants comme Bruno Roger-Petit, amateur de repas avec des figures de la droite extrême, ou Thierry Solère, plusieurs fois mis en examen, et organisateur officiel de dîners entre Édouard Philippe – entre autres – et Marine Le Pen. Seul pilier du Palais présidentiel : Alexis Kohler, aussi remarquable serviteur de l’état qu’il est un piètre conseiller politique.

Et la semaine qui s’ouvre va paraître longue jusqu’à ce jeudi 18 juillet, jour de l’ouverture de la nouvelle législature avec comme point d’orgue l’élection du futur titulaire du Perchoir. Un poste que convoitent Yaël Braun-Pivet, Charles de Courson et François Hollande, discret ces derniers jours, mais actif au téléphone pour renouer le contact avec les nouveaux députés élus. Aucun pronostic n’est possible pour cette élection décisive – avec une assemblée divisée en trois blocs – compte tenu du fait que les deux premiers tours doivent déboucher sur une majorité absolue et le troisième tour sur une majorité relative. Ce scrutin sera l’une des étapes majeures de cette "structuration" de l’Assemblée qu’Emmanuel Macron attend pour envisager la désignation d’un nouveau Premier ministre.

Même si chacun a bien compris que le Chef de l’État entend prendre son temps. Pour trois raisons. D’abord parce qu’il faudra encore que beaucoup d’eau coule sous le Pont Mirabeau avant qu’une "coalition de circonstance" allant de la droite de gouvernement jusqu’aux sociaux-démocrates du Parti Socialiste puisse voir le jour. Ensuite parce qu’Emmanuel Macron entend rendre la vie impossible à Gabriel Attal en le condamnant à expédier les affaires courantes sous la surveillance de Claire Landais, la précieuse Secrétaire Générale du Gouvernement. Enfin parce que les Jeux Olympiques – et la venue de 125 chefs d’État ou de gouvernement – devraient lui apporter une parenthèse ou un répit avant de se replonger dans la tambouille politicienne.

 

Mac-Mahon et le gouvernement de techniciens

 

Si, par bonheur pour lui, Emmanuel Macron trouve la possibilité de s’échapper vers le Fort de Brégançon après les Jeux Olympiques, nous lui conseillerions volontiers de se replonger dans deux périodes méconnues de la troisième République, comble du parlementarisme avec lequel la France a renoué avec cette dissolution improvisée. La première c’est la fin de la présidence de Patrice de Mac-Mahon. Brillant soldat, mais piètre politique, il est devenu le deuxième président de la troisième République après la chute d’Adolphe Thiers. Très royaliste, et élu par une chambre elle-même royaliste, il a consacré tous ses efforts à restaurer en vain la monarchie avec le retour impossible du Comte de Chambord (esprit raide et petit-fils de Charles X) avant de devoir faire face à une chambre passée à gauche.

De manière à ne pas choisir un Président du Conseil issu du bloc des Gauches, Mac-Mahon entend constituer un cabinet composé uniquement de fonctionnaires. C’est ce qu’aujourd’hui on appelle un gouvernement de techniciens. L’heureux élu est totalement inconnu : il s’appelle Gaëtan de Rochebouët. Polytechnicien, général bonapartiste, homme à femmes, il compose un gouvernement composé "d’hommes étrangers aux derniers conflits, indépendants vis-à-vis de tous les partis et supposés rester en dehors des luttes politiques" durant leur mandat. Mais la Chambre refuse de voter la confiance. Et il doit démissionner trois semaines après sa nomination. Peut-être faut-il y voir un enseignement pour tous ceux qui tirent des plans sur la comète en voyant Bernard Cazeneuve devenir Premier Ministre avec Emmanuel Faber, ex-patron de Danone, à Bercy ?

 

Une démission pour sortir de la paralysie

 

L’autre moment méconnu de la troisième République est la fin du mandat d’Alexandre Millerand. D’abord radical, puis socialiste réformiste, il devint Président de la République après la démission de Paul Deschanel retrouvé en pyjama le long d’une voie ferrée après avoir été surpris à escalader les arbres du Parc de l’Élysée en poussant des cris de singe… À peine élu président – ce qui revient sous ce régime à "inaugurer les chrysanthèmes" – Millerand veut gouverner. Il donne son avis lors des conseils des ministres, fait lire des messages très directifs au parlement et ne cache pas sa volonté de modifier la constitution afin de renforcer ses prérogatives.

Mais en juin 1924 a lieu une élection législative où le cartel des gauches, minoritaire en voix, remporte la majorité absolue en nombre d’élus grâce au mode de scrutin. Millerand doit trouver un Président du Conseil. Il propose le poste à Édouard Herriot, puis à Raymond Poincaré, Théodore Steeg et enfin au ministre des Finances Frédéric François-Marsal. Celui-ci compose un gouvernement qui est désavoué un mois plus tard par les parlementaires. Millerand finit par en tirer la conclusion que le seul moyen pour sortir le pays de la paralysie est de démissionner. C’est Gaston Doumergue qui lui succède. Son premier acte est de déclarer ouverts les Jeux Olympiques de Paris au stade de Colombes. C’était il y a exactement un siècle. Mais cela n’empêche pas d’en tirer quelques leçons… Surtout si aucune coalition n’arrive à se constituer. Ou si aucun candidat au poste de Premier ministre n’accepte cette tâche difficile, en étant dépourvu de majorité et quasiment certain d’être bousculé soit par une motion de censure, soit par une dissolution dans un an.

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Saut dans l’inconnu

07/07/2024 - 06:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / La peur et la raison

30/06/2024 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Joe Biden en mauvaise posture et la démocratie avec lui

13/07/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Royaume-Uni : les travaillistes écrasent le scrutin

06/07/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Débat américain : Joe Biden crée l’inquiétude dans son camp

29/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Guerre économique et entreprise

22/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Union européenne : un parlement renouvelé dans l’indifférence

15/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : de la guerre de haute intensité à la guérilla mondiale

08/06/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / La Géorgie, entre l’Europe et la Russie

01/06/2024 - 08:30