éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Dénis et défiance
par Yves de Kerdrel
La trêve olympique demandée par le Président de la République jusqu’à la mi-août ne pourra pas occulter le fait que la France est sans gouvernement, sans majorité, et sans ligne claire pour le budget 2025. Une situation qui semble convenir au Chef de l’État, seul à l’origine de cette situation, mais qui pèse sur le moral des chefs d’entreprise et sur la confiance des investisseurs.
Pour la première fois depuis le second tour des élections législatives, Emmanuel Macron est intervenu brièvement à la télévision mardi dernier, afin de célébrer la réussite annoncée de cette olympiade parisienne et française qui a été ouverte vendredi soir de façon spectaculaire sur la Seine, au Trocadéro et aux Tuileries. À cette occasion le Chef de l’État a expliqué que la question de la nomination d’un nouveau Premier Ministre ne se poserait pas avant la mi-août justifiant ainsi son souhait que la vie politique marque une "trêve olympique" pendant toute la durée des Jeux.
C’était aussi, pour lui, une manière de balayer d’un revers de la main, la proposition, faite, quelques instants avant son intervention télévisée, par le Nouveau Front Populaire de nommer à Matignon une haut-fonctionnaire inconnue, Lucie Castets, directrice des finances et des achats de la ville de Paris. Selon nos informations, c’est sous la contrainte temporelle de l’intervention présidentielle que les dirigeants insoumis, communistes, écologistes et socialistes se sont mis d’accord sur son nom, pour ne pas subir l’ironie du chef de l’État qui ne se serait pas privé de dénoncer la mésentente au sein du NFP. Tout s’est donc joué en moins de 48 heures, dès la publication du communiqué annonçant l’interview du locataire de l’Élysée. Olivier Faure a été le premier à prononcer son nom. Une autre personnalité était évoquée lors de ces négociations : Jérôme Saddier, le président du Crédit coopératif, par ailleurs membre du conseil de surveillance de BPCE.
Une solution au centre droit ?
Comme l’a souligné très justement le Président de la République, à partir du moment où André Chassaigne n’a pas réussi à réunir une majorité – même relative – derrière sa candidature pour la Présidence de l’Assemblée nationale, la preuve est faite que le Nouveau Front Populaire n’a pas les moyens d’imposer une capacité à gouverner. Cela n’a pas empêché les leaders de ce bloc de faire pression, tout au long de la semaine passée pour une nomination rapide de cette énarque très proche d’Anne Hidalgo et cofondatrice, en avril 2021, du collectif "Nos services publics".
À l’Élysée, déserté comme jamais, on continue d’affirmer que la solution de la crise politique actuelle se trouve au centre droit. En début de semaine dernière, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau ont présenté un plan d’action que les parlementaires Républicains pourraient soutenir s’il était repris par un futur gouvernement. Le député de la Haute-Loire, que l’on a connu plus vindicatif, semble vouloir "mettre de l’eau dans son vin" pour faciliter l’émergence d’un pacte législatif allant de LR à Ensemble Pour la République. Cela est dû à la pression de la quinzaine de députés du groupe de droite fidèles à Xavier Bertrand. Gabriel Attal, qui a négocié avec lui, les postures de leurs camps respectifs lors des élections à la présidence et aux vice-présidences de l’Assemblée nationale, a loué, en privé, son esprit constructif.
Gabriel Attal s’émancipe
Le Premier Ministre qui n’a plus aucun contact avec l’Élysée, s’attend à expédier, avec l’aide d’Emmanuel Moulin, les affaires courantes jusqu’au début du mois de septembre. Une tâche ingrate, qui ne l’empêche pas de continuer à construire sa stature de candidat potentiel pour 2027. Il lorgne ainsi ouvertement sur la présidence de Renaissance, le parti présidentiel, que s’apprête à lâcher Stéphane Séjourné, l’actuel locataire du Quai d’Orsay et en même temps député. Ce qui lui permettrait d’avoir la main sur l’argent de ce parti pour financer une éventuelle campagne.
À droite, Xavier Bertrand, est sans doute la personnalité vers laquelle se tournent tous les regards. Emmanuel Macron sait très bien que l’ancien Ministre du Travail est celui qui pourrait le mieux constituer une majorité de circonstance allant de LR jusqu’aux sociaux-démocrates. Mais, par un orgueil mal placé, il se refuse à le consulter et préfère parler avec Jean Castex. Le président de la Région Hauts-de-France multiplie, de son côté, les contacts avec les parlementaires de tous bords, faisant l’objet de nombreux appels de la part de certains "barons" de la Macronie. Selon l’entourage direct du Chef de l’État, ce dernier voit aujourd’hui davantage dans Bernard Cazeneuve ou Pierre Moscovici, des personnalités capables de répondre aux préoccupations régaliennes et budgétaires du moment tout en envoyant un signal à la gauche.
Des économies gigantesques à faire
Ce qui accroît la défiance des entrepreneurs, la crainte des investisseurs et l’inquiétude des milieux économiques, c’est la concomitance de cette crise politique avec le dérapage des finances publiques et la nécessité de prendre des mesures fortes à l’occasion du projet de loi de finances pour 2025. La constitution et la LOLF prévoient que ce texte doit être déposé sur le bureau du Parlement au plus tard le premier mardi d’octobre. Ce qui signifie qu’il doit avoir été au préalable examiné en Conseil des ministres et que le Haut Conseil des finances publiques ait eu le temps de l’examiner.
Tout cela intervient alors que la France est entrée en procédure pour déficit excessif, que dix milliards d’économies doivent être trouvées en plus des dix milliards d’annulations de crédits faites en février dernier par Bruno Le Maire, et qu’une vingtaine de milliards d’économies supplémentaires doivent être faites en 2025. D’après une étude du Conseil d’analyse économique, publiée il y a quelques jours, la France doit trouver 112 milliards d’euros à moyen terme afin d’améliorer la situation sur le plan de la soutenabilité de sa dette publique. Dans le détail, cette note suggère de privilégier des hausses de recettes ou des baisses de dépenses sur des politiques dont l’évaluation a montré la faible efficacité, notamment certaines niches fiscales ou certaines exonérations de charges. Il y a deux semaines Olivier Blanchard chiffrait l’ajustement budgétaire nécessaire, à terme, à 120 milliards d’euros.
À la recherche de la confiance perdue
Emmanuel Macron a pris soin jeudi dernier d’inviter à déjeuner une dizaine de grands patrons français (dont Bernard Arnault, Alexandre Bompard ou Sébastien Bazin) avec quelques dirigeants étrangers (dont Elon Musk) pour les rassurer sur la situation du pays. Exercice vain car, en dehors de Carrefour, la plupart de ses invités ne réalisent qu’une part très mineure de leur activité et de leurs profits dans l’hexagone.
Les patrons inquiets sont ceux qui sont aux commandes des PME ou des ETI. En témoigne la spectaculaire dégradation du climat des affaires en juillet par rapport à juin, publiée par l’Insee en fin de semaine dernière. Cet indicateur a retrouvé son plus bas niveau depuis février 2021, au plus fort de la crise sanitaire. Déjà à la mi-juillet Bpifrance avait alerté sur le net ralentissement vécu par les PME et les TPE. Tout cela pourrait se traduire, selon l’Insee, par une légère hausse du taux de chômage qui passerait de 7,5 à 7,6 % fin 2024.
L’incertitude crée l’inquiétude qui concourt à la défiance. Nous savons depuis Tocqueville et Max Weber jusqu’à Yann Algan que trois ingrédients sont nécessaires pour la croissance et la prospérité. Ce sont le capital, le travail et la confiance. Celle-ci a hélas disparu le 9 juin et plus encore le 7 juillet à la vitesse d’un cheval au galop. Ce ne sont pas les dénis du président de la République qui permettront de la faire revenir.
P.-S. : Cet éditorial s’interrompt pour une pause estivale à l’ombre des hêtres du plateau de Millevaches. Il reprendra sa parution hebdomadaire le dimanche 1er septembre. Très bel été et bon repos à tous.
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