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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Dissuasion
par Yves de Kerdrel

En cette fin d’année, les menaces fleurissent un peu partout. Celles terrifiantes de Vladimir Poutine visant soit à utiliser l’arme nucléaire, soit à frapper les alliés de l’Ukraine. Celles baroques du Rassemblement National sur un possible vote de censure à l’occasion du 49-3 qui sera utilisé pour faire adopter (ou pas) le budget. Et celles, réelles, du ministre de l’Économie, sur un nouveau ras-le-bol fiscal.

24/11/2024 - 06:30 Lecture 12 mn.

Si un communiqué lapidaire a rassuré le Landerneau politique sur l’état de santé de Michel Barnier après l’intervention chirurgicale qu’il a subie il y a un mois pour une lésion cervicale, l’interview d’Antoine Armand dans le Parisien en milieu de semaine a en revanche inquiété sur l'état de la cohésion gouvernementale. Le jeune ministre de l’Économie qui s’était fait discret ces dernières semaines, laissant les projecteurs se focaliser sur le bilan désastreux de son prédécesseur, Bruno Le Maire, est sorti de son silence pour pourfendre la volonté de réduire une partie des exonérations de charge salariales accordées aux entreprises.

Le locataire de Bercy, qui comme son collègue de l’étage inférieur, Laurent Saint-Martin, appartient au parti présidentiel, ne veut pas que l’on touche à ce qui a fait le fondement de la politique de l’offre mise en place il y a maintenant une dizaine d’années dans le sillage du rapport de Louis GalloisGabriel Attal était déjà monté au créneau. Et c’est pour éviter ce rabotage des exonérations de charge que le Sénat a suggéré la mise en place d’une contribution des entreprises bâtie sur sept jours de plus travaillés dans l’année. Une mesure dénoncée chez les Insoumis, mais aussi sous la plume... de journalistes du Figaro qui y ont vu le retour de la "corvée" médiévale. Comme quoi la caricature n’est pas l’apanage des extrêmes !

 

L’indécence des dirigeants d’exécutifs locaux

 

Michel Barnier n’a pas cherché à recadrer son ministre de l’Économie qui n’avait pas fait relire au préalable son interview par les services de Matignon. Il faut dire qu’Antoine Armand "fait son job" en pointant du doigt tout ce qui concourt à une hausse du coût du travail. D’autant que les amendements sénatoriaux permettent de compenser l’économie attendue de la baisse des exonérations de charge. De surcroît le locataire de Bercy rappelle avec force ce sujet de fond que nous évoquions la semaine passée dans ces colonnes : "On doit avoir un débat sur le temps de travail. Nous sommes l’un des pays qui travaille le moins en Europe".

Curieusement, alors que certains dirigeants d’exécutifs locaux défilent sur les plateaux de télévision pour s’insurger contre l’économie de 5 milliards d’euros qui leur est demandée, personne n’ose leur rappeler les conclusions d’un récent rapport de la Cour des comptes qui s’étonne que le temps de travail des fonctionnaires territoriaux soit inférieur de 43 heures à la durée légale du travail. La seule résorption de cet écart permettrait de réduire de 52 000 le nombre de fonctionnaires. Ce qui entraînerait une économie annuelle de 1,3 milliard d’euros. Et cela sans compter la lutte contre l’absentéisme qui pourrait encore générer des économies monstrueuses.

 

La coalition des contraires et les tenants de la stabilité

 

Mais Michel Barnier a passé sa semaine à déclarer ici et là qu’il risquait d’être renvoyé d’un jour à l’autre dans ses alpages et que ce n’était pas très motivant de travailler dans de telles conditions. Il est vrai que tant Jordan Bardella que Marine Le Pen ont tenté d’esquiver les questions des journalistes sur le procès des assistants parlementaires de leur parti en évoquant un risque de censure du gouvernement à l’occasion du déclenchement inévitable de l’article 49-3 pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2025. Michel Barnier aura l’occasion d’en parler de vive voix dès demain avec Marine Le Pen qu’il reçoit à Matignon. Elle va lui demander d’abandonner le projet de taxe sur l’électricité. Si elle obtient satisfaction, pour la seconde fois contre Antoine Armand, on saura désormais qui pèse le plus lourd sur le plan politique. On peut craindre de le deviner déjà…

Il reste que la menace de censure qui nécessiterait une "coalition des contraires", comme l’a très bien déclaré Michel Barnier devant les maires de France, pourrait ne pas être aussi atomique que certains l’envisagent. François Hollande, qui est davantage présent dans son bureau d’ex-Président de la République, Rue de Rivoli, que dans l’hémicycle, tente de convaincre les socialistes raisonnables de ne pas mêler leurs voix aux Insoumis en cas de motion de censure. Et Bernard Cazeneuve a expliqué, il y a quelques jours, devant soixante parlementaires de gauche, réunis dans une salle du Palais Bourbon que ce serait une erreur de "faire sauter le gouvernement Barnier". Il reste que les socialistes ne comptent que 66 députés, soit un tiers exactement du bloc du Nouveau Front Populaire.

 

La Chine, dernier rempart à une escalade nucléaire

 

Autre menace, mais bien plus sombre : celle agitée par Vladimir Poutine visant à utiliser l’arme nucléaire pour répliquer aux lancements de missiles à longue portée fournis par les Occidentaux (sauf l’Allemagne et la France) à l’Ukraine. Ces missiles, dont une première salve a été envoyée mardi dernier, sans faire trop de dégâts en Russie, ne peuvent être tirés qu’avec l’aide technique du renseignement américain, donc de la CIA. Ce sont les États-Unis qui fournissent les données GPS de cibles "acceptables" par eux et qui suivent la trajectoire et l’explosion de ces missiles pour le compte des Ukrainiens. Cette escalade - rendue nécessaire par l’approche de négociations territoriales après l’entrée en fonction de Donald Trump – a conduit les Russes à tirer, dans la nuit de jeudi à vendredi, un missile balistique à moyenne portée sur une usine ukrainienne. Il s’agit d’une arme dont les Occidentaux ignoraient l’existence et qui a vocation à porter une charge nucléaire.

Vladimir Poutine tente donc, coûte que coûte, de faire comprendre que sa menace doit être prise au sérieux. Mais selon nos informations, les états-majors occidentaux restent sereins car la Chine a interdit à Moscou l’utilisation de toute arme nucléaire. C’est la condition mise par Pékin pour continuer à fournir à la Russie les composants dont elle a besoin pour fabriquer ses munitions de tous ordres, et notamment les plus sophistiquées. Le Président chinois a profité du sommet du G 20 pour le rappeler discrètement à ses interlocuteurs occidentaux.

Toute cette escalade rend, toutefois, à la dissuasion nucléaire l’importance qu’elle avait perdue depuis la chute du Mur de Berlin et cette notion absurde de "dividendes de la paix" qui ont conduit trop de pays à baisser la garde. Le sujet de l’arme nucléaire stratégique – celle que portent nos sous-marins lanceurs d’engins basés à l’île Longue – va rester sur le devant de l’actualité géopolitique au cours des prochains mois, si Donald Trump persiste à vouloir replier le parapluie américain. Car au sein de l’Europe la France est l’unique puissance nucléaire, maintenant que le Royaume-Uni a opté pour le Brexit, et reste en matière de défense un satellite américain. Cela signifie que dès que des bruits de bottes russes se feront entendre aux confins des pays baltes comme en Pologne, tous les regards seront fixés vers Paris et sur sa capacité à agiter sa propre force de dissuasion pour faire rentrer l’ours russe dans sa tanière. Il s’agit là d’un sujet stratégique – mais aussi politique – qui mérite un vrai débat de fond pour savoir dans quelles conditions l’arme nucléaire française peut être utilisée - ou simplement brandie - pour assurer la paix en Europe. Avec à la clé la remise en cause de nombreux fondements de notre doctrine militaire et du consensus national bâti depuis de Gaulle autour d’elle.

 

L’appel à un renouveau franco-allemand

 

C’est dans ce contexte particulièrement sensible que deux amis et confrères, Joachim Nagel, le Président de la Bundesbank, et François Villeroy de Galhau, le Gouverneur de la Banque de France, ont lancé vendredi un appel commun pour un renouveau franco-allemand. "Plus le monde devient menaçant, écrivent-ils, plus il est important de surmonter nos différences et de souligner plutôt ce qui nous unit." avant d’appeler à une approche beaucoup plus européenne des politiques de défense : "considérer la défense comme une mission véritablement européenne devrait conduire à des achats conjoints d’armement, et donc à un budget commun plus élevé pour la défense."

Dans le sillage du rapport Draghi, et afin d’éviter une "lente agonie" de l’Europe agitée comme menace par l’ancien président de la BCE, les deux grands argentiers expliquent que le couple franco-allemand doit être moteur afin d’approfondir notre marché unique, créer une Union pour l’épargne et l’investissement, et réduire la bureaucratie pour accroître l’innovation. Ce qui consiste à "multiplier la taille par le muscle, et par la vitesse." La taille, c’est le renforcement de notre marché unique en réduisant tout ce qui pèse sur son attractivité et son dynamisme. Selon le FMI, lever seulement 10 % des obstacles internes, ce serait ajouter jusqu’à 7 % de croissance en Europe. Le muscle financier, c’est l’Union pour l’épargne et l’investissement. Enfin la vitesse, cela consiste à mettre l’accent sur l’innovation et la réduction de la bureaucratie. Avec l’idée de lancer une Communauté de l’IA et de la technologie. Un peu d’espoir et de volonté positive dans un contexte de menace et de peurs.

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