éditorial / Yves de Kerdrel
éditorial
Yves de Kerdrel
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Contradictions
par Yves de Kerdrel
Le début du second mandat de Donald Trump est surveillé de manière attentive par les dirigeants d’entreprise qui sont moins révulsés par ses propos provocateurs que les leaders d’opinion. Ils y décèlent beaucoup de contradictions sur le plan économique et même sociétal. Quant à l’Europe, elle reste engluée dans sa paresse face à l’exercice de remise en question de son mode de fonctionnement avec à la clé une nécessaire entreprise de simplification.
À Davos lundi dernier, on ne trouvait personne à voir en fin de journée dans la station des Grisons, où tous les participants arrivés pour le Forum économique mondial étaient enfermés dans leur chambre d’hôtel et postés devant leur écran à écouter les premiers mots de Donald Trump redevenu Président des États-Unis. Au lieu de faire, comme il est d’usage, un discours de réconciliation nationale, ou bien de mettre en valeur les vertus de la démocratie américaine, voire encore d’en appeler à l’esprit de Condorcet, de Tocqueville ou de Washington, le nouveau locataire de la Maison Blanche s’est livré à un énième discours de "meeting" déroulant les surtitres des "executive orders" qu’il allait signer dans la foulée.
Tout cela n’était finalement pas très surprenant de la part du quarante-septième président dont le seul objectif - dans cette belle salle du Capitole que ses supporters avaient commencé à saccager quatre ans plus tôt - était surtout d’apparaître comme le nouveau P.-D.G. "d’America. Inc", avec la volonté de distribuer à ses "actionnaires" (les magnats de la tech et du pétrole qui ont soutenu sa campagne) les dividendes qu’ils sont en droit d’attendre. Et l’on aurait presque pu lire sur les lèvres de ses supporters cette phrase que Talleyrand avait dite à Benjamin Constant venu lui annoncer qu’il avait été nommé ministre des relations extérieures par Barras : "Nous tenons la place, nous tenons la place ! Il faut faire une immense fortune, une fortune immense !"
Les limites de l’exercice "trumpien"
La méthode de Donald Trump est celle du populisme le plus pur. Montrer que ce qu’il dit est aussitôt acté sous forme de décrets et que les décisions sont appliquées dans l’heure qui suit afin de laisser croire à ses électeurs que leurs problèmes seront résolus aussi vite. C’est la limite de l’exercice "trumpien". Car s’il a commencé à faire arrêter quelques centaines de clandestins afin de les renvoyer dans leur pays d’origine, il va tout de même se heurter à l’état de droit, comme le montre la saisine de la Cour Suprême par plusieurs gouverneurs à propos du décret supprimant "le droit du sol".
Mais son principal obstacle va être tout simplement la réalité économique. Lui qui a dit vouloir combattre l’inflation en mettant à plat la politique menée par son prédécesseur ne va faire que l’amplifier. D’une part avec la répercussion sur les produits consommés des droits de douane qu’il entend mettre en place. D’autre part avec une tension sur les salaires qui va se faire jour dès lors que les entreprises américaines devront se passer de la main-d’œuvre d’origine étrangère, qui constitue aujourd’hui l’un des principaux ressorts de la croissance américaine. Bien sûr on peut s’attendre à ce que le prix du pétrole diminue, si les forages font couler du brut en abondance et si Donald Trump arrive à convaincre l’Arabie saoudite d’accepter une baisse du prix du baril avec l’ambition d’en faire un élément d’affaiblissement de la Russie, et donc de négociation pour solder le conflit en Ukraine. Mais cela ne suffira pas à redonner du pouvoir d’achat aux électeurs du Midwest américain. C’est la limite de la stratégie "transactionnelle" du nouvel homme fort de Washington.
L’Europe et sa balle dans le pied
Bien qu’absent, Donald Trump n’a jamais été aussi présent à Davos. Depuis la cérémonie d’investiture jusqu’à son intervention par vidéo jeudi soir où il a répondu aux questions de quatre dirigeants de grands groupes dont Patrick Pouyanné. Il a expliqué que les États-Unis continueraient d’assurer la sécurité énergétique de l’Europe ; une manière de forcer celle-ci à acheter encore plus de gaz naturel liquéfié pour compenser le gaz russe. Il a vanté les mérites de sa politique fiscale et les abattements d’impôts proposés à ceux qui installeraient des usines sur le sol américain. Des mesures destinées à contrebalancer l’arrêt de l’IRA cher à Joe Biden et qui explique la formidable croissance américaine depuis deux ans.
Avant même cette prise de parole, Ursula von der Leyen avait laissé envisager des décisions rapides dans le sillage des préconisations issues du rapport Draghi. De son côté Christine Lagarde a affirmé son espoir que ce nouveau mandat de Donald Trump permette à l’Europe de sortir de sa "paresse" et de sa "bureaucratie". La présidente de la BCE a déclaré : "nous avons beaucoup d’atouts, mais nous nous tirons souvent une balle dans le pied, parce que nous n’achevons pas le travail que nous avons entrepris". Ce qui est vrai s’agissant du marché européen des capitaux et de tous les obstacles au commerce ou à l’investissement.
Un budget pour le pays dans quelques jours
À côté de ces enjeux économiques, géopolitiques, technologiques de portée mondiale et bien sûr européenne, les petites préoccupations de François Bayrou continuent de se focaliser sur le bouclage du Projet de loi de finances pour 2025. Celui-ci a été adopté par le Sénat avec quelques amendements qui ont permis à la droite de se faire plaisir. De fait les sénateurs socialistes ont voté contre. Ce qui témoigne d’une volonté de faire monter la pression avant la commission mixte paritaire de jeudi prochain qui sera présidée par Éric Coquerel et où Boris Vallaud jouera le rôle de suppléant auprès du député socialiste Philippe Brun. Un suppléant, en Commission Mixte Paritaire, ne peut pas prendre part au vote, mais il peut soumettre des idées ou des aménagements au texte.
Les socialistes entendent bien profiter de la position de force qu’ils ont acquise en ne censurant pas le gouvernement il y a dix jours pour obtenir des gestes supplémentaires. Ce qui sera fait avec l’abandon des 4 000 suppressions de postes envisagées par Michel Barnier dans l’éducation nationale et le maintien de toutes les recettes fiscales imaginées par le précédent gouvernement. Mais l’effort budgétaire sera moindre. D’abord parce qu’ainsi que l’a annoncé Éric Lombard, le déficit budgétaire pour 2024 pourrait être limité à 6 % au lieu de 6,1 %. Et ensuite parce que le gouvernement de François Bayrou a décidé de ne pas être trop intransigeant sur la baisse des dépenses à condition qu’elle reste dans une marge de 2 %. Charge à la CMP d’y veiller. Si bien que les nouvelles taxes sur les sociétés, sur les hauts revenus, sur les rachats d’actions, les transactions financières ou les billets d’avion vont finalement représenter plus de 80 % de l’écart permettant la réduction du déficit budgétaire.
Après que la CMP sera tombée d’accord sur le texte final du projet de loi de finances pour 2025, il restera à le faire voter par l’Assemblée nationale. Ce qui ne sera possible que grâce au déclenchement de l’article 49-3. Et là où la situation pourrait devenir intéressante pour François Bayrou, c’est si les socialistes (ou au moins deux tiers d’entre eux) s’abstiennent et si le Rassemblement National vote la censure. Alors on pourra commencer à voir émerger une forme de nouveau "socle commun élargi" qui permettra l’adoption de manière plus fluide du PLFSS. Et l’abandon de la loi spéciale votée en urgence en décembre dernier pour éviter un "shutdown" à la française. Cela constituera un bon point pour le Premier Ministre et pour Éric Lombard qui a largement contribué à ramener les socialistes à la raison. Toute la question sera ensuite de savoir ce que François Bayrou et son gouvernement feront de ce calme retrouvé. Une petite équipe, une petite marge de manœuvre et de petits moyens face aux grands défis provoqués par Trump II.
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